Petite pièce de poésie de Cécile-Fleur

 

 

 

 

Aux premiers jours du monde

Quand tout était en train de se faire et de s’écrire

Et tout était consigné dans la Bible

Vous ne trouverez pas le nom de Lilith

Car Lilith est partie en claquant la porte

Elle a dit non sur un coup de tête

Et voilà

Maintenant elle regrette

Pas parce qu’elle a changé d’avis

Ou qu’elle reconnaît avoir eu tort

Mais parce qu’elle s’ennuie

Elle s’emmerde toute seule dans l’univers

Oubliée de tous

Et elle est très vexée

Alors elle revient sur la pointe des pieds

Elle aimerait bien rentrer à nouveau

Elle aurait dû rester bouder dans le salon

Au lieu de monter sur ses grands chevaux

Et menacer de partir pour de bon

On l’a rappelée une fois

On lui a donné une seconde chance

Puis on l’a oubliée sans raison

Les femmes d’aujourd’hui devraient le savoir

Elles devraient connaître cette histoire de Lilith

Et les hommes ont eu bien tort de chercher à étouffer l’affaire

Car toute femme devrait avoir en tête

Avant de partir en claquant la porte

Qu’il est parfois difficile de revenir

Difficile de revenir sans se compromettre

Quand on a laissé passé l’heure du compromis qui nous était offerte.

 


J’aurais pas dû dire non...

Pourquoi j’ai dit non ?

J’aurais dû dire oui mais

Oui...

Mais dans l’autre sens mon chéri !

Les femmes d’aujourd’hui savent cela

Elles savent y faire elles !

Tu sais ce qui me ferait plaisir mon chéri ?

À l’époque on ne le savait pas

Mais les hommes adorent faire plaisir aux femmes

Rien ne leur fait plus plaisir que faire plaisir à une femme

Tu sais ce qui me ferait plaisir mon chéri ?

Je te monte dessus

Je te cravache comme une sauvage

Pendant que tu me désires violemment

Mais les hommes adorent ça !

 

 

Si seulement j’avais pas dit non !

J’aurais pu lui dire

Par exemple

Oui...

Mais demain...

C’est mon tour de te pénétrer !

Qu’est-ce que je raconte ?

Je peux pas le pénétrer !

C’est lui qui me pénètre

Que je suis bête !

Non

J’aurais dû lui dire

Oui peut-être…

Demain oui peut-être…

C’est ça

C’est bien ça

Ça marche toujours

Ou alors j’aurais dû lui dire carrément

Oui moi non plus !

Je t’aime

Moi non plus !

Ça a fait un gros succès ça comme formule

J’aurais pu tout lui dire

Mais qui commence par oui

Oui encore mon chéri !

Encore mon chéri !

Pourquoi j’ai pas dit ça d’ailleurs ?

Mais pourquoi j’ai pas dit ça ?

Encore mon chéri !

Oui au septième ciel !

Oui accrochée aux rideaux !

Oui suspendue au plafond !

C’est pourtant pas les expressions qui manquent !

 

 

Non

Il a fallu que je dise non

Madame voit les choses en grand

Madame se dresse royale et imparable

Les yeux brillant de colère

Sa chevelure noire étincelle

Tandis qu’elle défie l’univers

Imparable

Sans parade

Ça je peux vous le dire

J’ai sauté sans filet

Dans le grand vide

Et Dieu a créé les blondes

Ça il en a fait des cauchemars

De ma chevelure noire flottant dans le vent

Etendard de la liberté !

 


Au début

C’est vrai

Elle était fière

Lilith

Vive la liberté !

Elle hurlait

Enfin libre !

Libre d’être moi-même !

Alors que tout venait de commencer

Eve fait pâle figure en comparaison

Non !

Non !

Qu’elle criait

Vive la liberté !

Et des quatre coins du monde on lui répondait

On l’acclamait

On encourageait sa rébellion

Et on exhortait sa fougue

Puis tout est rentré dans l’ordre

Adam a épousé Eve

Et c’est alors que Lilith a commencé à douter.

 

 

Tous avaient repris le boulot

Sur le grand chantier du monde

On entendait plus que le cliquetis des horloges

Et le rouage des constellations

Et voilà qu’elle se torturait

Seule et désoeuvrée

Lilith

Les hommes préfèrent donc les blondes ?

Comment avait-il pu si vite se consoler avec une autre ?

Et de désespoir elle secouait sa grande chevelure noire

Et quand elle se croyait entourée de tout le monde

Tout cela n’était-il que l’écho de ses propres paroles ?

Une illusion ?

Elle se sentait si seule tout à coup

Elle réalisait combien elle était seule

Elle découvrait la solitude

Et elle apprenait la vanité

Pourquoi avait-elle dit non ?

Qu’est-ce qui au juste l’avait poussé à dire non ?

Et elle essayait de se souvenir

Elle analysait chaque détail point par point pour tenter de comprendre ce qu’il s’était passé

Pour reconstituer le puzzle

Comme si cela allait changer quelque chose !

 


Pourquoi avait-elle dit non ?

Mais pour se pavaner comme une reine dans les étoiles pardi

Quelle question !

Pour le plaisir de faire volte-face brusquement

Un éclair d’argent striant son regard

Éternel insigne

L’ultime danse du serpent

Et dans la foulée imprimer son nom dans l’histoire d’un geste aussi sublime qu’extravagant

Et c’est vrai

Qu’elle avait été belle

Tout l’univers avait été subjugué

L’espace d’un instant

Tout l’univers s’était arrêté de tourner

Fasciné...

Libre comme l’air

Brandissant sa chevelure dans le vent

Le front ruisselant d’astres filants

Et courant comme une folle dans les nues

Elle avait batifolé au milieu des champs magnétiques

Dérangé les anneaux de Saturne

Apposé un baiser sur le front de Pluton

Effleuré d’un doigt les courbes de la lune

Puis elle s’était assise en tailleur

Et elle avait commencé à trouver le temps long

Toute seule

Perdue là-haut.

 


Pourquoi avait-elle dit non ?

Mais pour pouvoir dire oui

Evidemment !

Comment voulez-vous dire oui

Sans avoir dit non ?

Cela n’existe pas

Ce n’est pas possible !

Lilith a commencé par dire non

Mais quand elle est revenue avec le oui

Plus légère qu’une fleur

Et plus douce que la brise

La place était déjà prise

Oui la place était déjà prise !

Ève lui avait volé son oui

Ève avait pris le oui sans passer par le non !

Elle avait coupé dans la file sans sourciller

Elle lui avait sifflé le nom

Et Adam n’y avait vu que du feu !

 


Et maintenant voilà que Lilith se retrouvait à incarner le mystère !

À faire de la figuration dans l’ombre d’Eve

Mais c’est faux !

C’est complètement faux !

Lilith n’est pas du tout mystérieuse !

Au contraire

Elle a clamé haut et fort qui elle était

Elle a mis son âme à nu drapée de sa seule chevelure noire

Elle n’a pas hésité à se dévoiler en pleine lumière

Et tout l’univers a été ébloui

Mais enfin le mystère

Ce n’est pas Lilith !

C’est comment une fille sortie dieu sait d’où

A fait gober à Adam qu’elle venait de la côte !

Et en moins de deux

Il a oublié Lilith

On n’en a plus jamais entendu parler.

 

 

Oh vous auriez dû la voir

Lilith

Après cette grande heure de gloire où elle a éclaté dans l’univers

Et on ne pouvait rien dire

Tant elle était affirmée

On ne pouvait qu’admirer

Vous auriez dû la voir

Quand elle a pensé à revenir

Et elle ne savait comment faire...

Elle s’est approchée à petits pas

En serrant les poings

Du bout du pied

Elle faisait des ronds dans la neige

Elle a gratté au bas de la porte

Et elle a une première fois rebroussé chemin.

 


Puis elle est revenue

Elle a pointé son museau par la fenêtre

Et vous savez ce qu’elle a vu ?

Adam et Eve culs nus

Et dessus dessous

Dessus dessous

Dessus dessous

Et Lilith manque de s’étrangler

Alors avec elle tu veux bien !

Hein ?

C’est ça ?

Et pourquoi avec moi tu voulais pas ?

Mais Lilith a beau s’égosiller

Adam et Eve ne l’entendent pas

Dessus dessous

Dessus dessous

Lilith tambourine contre la vitre

Moi aussi je veux bien !

Moi aussi je sais dire oui !

Maintenant je sais recevoir

Tu peux me donner !

Mais Lilith a beau s’agiter

Adam et Eve ne voient rien.

 


Et Lilith ne se rend pas compte

Qu’elle est devenue un mythe

Et Lilith ne réalise pas

Que depuis longtemps déjà

Elle hante les contes

C’est sous la plume des écrivains

Que sa poitrine se gonfle

Et depuis la nuit des temps

Sous son souffle frémit l’océan

Et le poète parle de sa bouche

Regarde-moi Adam !

Regarde-moi !

Moi aussi je sais dire oui maintenant !

Et Lilith ne se rend pas compte

Qu’elle n’est ni brune ni blonde

Son histoire en secret a fait le tour du monde

Et depuis toujours sans le savoir

Les hommes la fécondent

Et les livres la racontent

Elle ignore encore

Qu’elle a traversé tous les siècles

Et franchit la barrière du temps

Elle hante tous les rêves

Et remplit tous les chants

Au fondement de légende

Elle a accès à toute connaissance

Et c’est parce qu’elle est trop grande

Qu’elle a été oubliée

Elle incarne toute femme

Et c’est pour cela qu’elle ne reviendra jamais.


 

(Écrit lors de l’atelier autour de Hélène, mode d’emploi 

au théâtre du Fil de l’eau à Pantin en 2010)

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